Dès les années 20 et pendant près d’un demi siècle, le célèbre couple, Charles et Marie-Laure de Noailles ont soutenu l’avant garde artistique et vu défiler tout au long d’une vie flamboyante, les plus grands artistes du siècle.
Qu’ils soient écrivains, musiciens,  peintres, cinéastes, collectionneurs, ces artistes excentriques, décadents, capricieux et passionnés se sont croisés à Paris et à Hyères chez cet exceptionnel couple de mécènes.

Découvrir les Noailles, c’est aller à la rencontre de Proust, Picasso, Cocteau, Poulenc, Giacometti, César… Et entrer dans l’intimité d’une époque

Plus que n’importe qui d’autre, Les Noailles ont compris les devoirs qu’imposent la fortune, c’est à dire servir la beauté, soit en aidant les poètes et les artistes, soit en forçant l’imagination des gens du monde par des fêtes. Quand on Pense aux Noailles, on pense à cette phrase d’Henry James “J’appelle riches, ceux dont les moyens peuvent servir les besoins de l’imagination”.

Philippe Jullian - chroniqueur mondain et biographe d'Oscar Wilde

Marie-Laure Noailles née Bischoffsheim (1902-1970) est l’héritière unique d’une immense fortune. Issue d’une célèbre famille de banquiers (et descendante du divin marquis) eux mêmes mécènes et collectionneurs d’art, elle baigne dès l’enfance dans le milieu artistique.Son beau père est écrivain et éditeur célèbre qui fréquente le tout milieu littéraire, dont le jeune Cocteau qui sera la grand ami du couple.

Charles de Noailles (1891-1981) est issu de la grande aristocratie, fils du prince de Poix, il est aussi le neveu de la poétesse Anna de Noailles.

Ils se rencontrent chez Etienne de Beaumont mécène mondain et organisateur de célèbres bals (il inspirera d’ailleurs Radiguet pour son roman « Le Bal du Conte d’Orgel”). Ils méneront ensemble une vie de mécènes, et c’est bien la spécificité du couple : ils inventent une forme moderne de mécénat : un mécénat tourné vers l’art contemporain, la capacité à faire se rencontrer des artistes de divers horizons et l’organisation de fêtes.
Ils sont visionnaires, tant par leurs choix que par leur façon d’aborder leur “mission”. ils pensent promotion mais aussi  diffusion et reproductibilité des œuvres d’art, par le biais de la radio, des concerts et par leur intéret pour le cinéma.

Et voilà le véritable rôle du mécène : le mécène ne doit pas soutenir les bonnes, mais les mauvaises affaires, il doit soutenir les réussites à longues échéances. Il faut être riche de cœur autant que d’argent.

Jean Cocteau

xLa présence de Proust

Un double lien unit les Noailles à Marcel Proust. Tout d’abord du côté Bischoffsheim. Marie-Thérèse de Chevigné, la grand-mère de Marie-Laure de Noailles, et elle-même arrière petite-fille du Marquis de Sade, inspirera Proust  (certainement amoureux d’elle) pour le célèbre personnage de Madame de Guermantes, le personnage d’“A la recherche du temps perdu”.
Du côte de Charles de Noailles, Proust écrivit qu’il avait rencontré de Prince de Poix et son fils. Il s’en servira là aussi pour en faire un des personnages du même roman.

Le sens de la fête :

Durant l’entre-deux-guerres, Charles et Marie-Laure de Noailles organisent des bals à thème dans l’esprit des années folles. Loin d’être uniquement l’occasion de fêtes débridées, à l’attention des aristocrates de l’époque, beaucoup de ces soirées sont des prétextes à commander des œuvres aux artistes ainsi qu’aux musiciens et aux danseurs pour promouvoir leurs talents. Ainsi le concerto chorégraphique Aubade commandé à Francis Poulenc pour le Bal des Matières, donné place des États-Unis en juin 1929, est repris au Théâtre des Champs-Élysées l’année suivante. À Georges Auric, ils demandent sa première partition pour le cinéma pour le film de Cocteau – il en fera par la suite une centaine d’autres.

Les lieux emblématiques

L’hôtel Bischoffsheim 

Deux lieux sont emblématiques du rayonnement des Noailles. Le premier à Paris, situé place des Etats-Unis dans le 16 ème arrondissement. Aujourd’hui devenu le musée Baccarat. L’hôtel particulier a été le cadre de somptueuses réceptions où se cotoyaient les grandes fortunes et les artistes d’avant-garde. Jean Cocteau, ami d’enfance de la vicomtesse, était un habitué des lieux. On y croisait Francis Poulenc, Man Ray, Jean Hugo, Luis Bunuel, Henri Laurens, Balthus, Max Ernst, Giacometti…

La Villa Noailles à Hyères

Le terrain est un cadeau de mariage reçu en 1923. L’idée de Charles était de faire construire une maison simple à habiter. Elle ne cessera d’évoluer et de s’agrandir jusqu’à 1800m2, elle abrite aujourd’hui le Centre d’Art d’Interêt National. Cette maison illustre à elle seule l’esprit de modernité des Noailles. Elle est représentative de l’application des préceptes et des principes du mouvement rationaliste, par sa recherche d’une luminosité maximale, de la fonctionnalité de l’habitation et de son économie décorative mais aussi par une épuration des éléments décoratifs en privilégiant les toits, les terrasses et la lumière. L’architecte Robert Mallet-Stevens a été chargé de sa construction, après un désaccord avec Le Corbusier. Le jardin dit cubiste est l’œuvre de Gabriel Guévrékian, un tout jeune paysagiste, qui donnera à la villa l’allure d’un paquebot . La statue, “La joie de vivre”, une sculpture tournante a été conçue par l’artiste Lipchitz.

L’Hotel Bischoffsheim aujourd’hui et aux temps des Noailles

La Villa Noailles et son Jardin dit Cubiste, en forme de proue de bateau

La Villa Noailles est le lieu témoin de la mémoire de cet exceptionnel couple de mécènes. Conçue pour être un lieu dédié aux amis et à l’art, elle fait fonction, à l’époque de ce que appellons aujourd’hui, Résidence d’artistes. Elle est composée de très nombreuses chambres d’amis toutes équipées de salle de bains, un luxe incroyable pour l’époque. La villa est le lieu où vont se croiser les grands artistes du siècle : Cocteau, Christian Bérard, Poulenc, Giacometti, André Breton, Georges Bataille… 
Les Noailles sont des mécènes généreux et passionnés, ils sont aussi de formidables agrégateurs de talents.

Charles de Noailles et le cinéma

 

Charles de Noailles se passionne pour le cinéma d’avant-garde.
Le couple fait scandale en produisant le deuxième film surréaliste de Bunuel, “Un chien andalou” avec Salvador Dali, présenté au Studio 28 à Montmartre en 1929.
Bunuel profitera aussi de l’hospitalité des Noailles à la villa de Hyères pour terminer le scénario  de « l’âge d’or ». Man Ray y tournera son film : « Les mystères du chateau de dé ».

Le film de Jean Cocteau, « le sang d’un poète » sera financé par ses amis, et c’est par leur intermédiaire qu’il rencontrera Georges Auric qui écrira la partition pour la musique du film.

Charles de Noailles rejoindra l’association ciné-club « Les amis de Spartacus », fondée en 1928, qui occupe une place singulière entre courroie de transmission du Parti communiste et entreprise cinéphile, à l’invitation de ses amis artistes très souvent engagés dans le parti. 

« Un chien Andalou » de Luis Bunuel / « Le sang d’un poète » de jean Cocteau et « les Mystères du château de dé » de Man Ray

La Mission Dakar-Djibouti ou La NAIssance de l’éthnologie française

De 1931 à 1933, cette mission ethnographique dirigée par Marcel Griaule traverse l’Afrique, de Dakar à Djibouti. Cette expédition de 20 000 kms préfigure la création du Musée de l’Homme. L’écrivain et ethnologue Michel Leiris en est le secrétaire-archiviste.

Centrée sur la collecte d’objets qui sont envisagés comme des témoins de la civilisation matérielle et de la vie sociale des communautés indigènes, la Mission Dakar-Djibouti marque profondément l’histoire de l’ethnographie française, mais aussi plus largement celle des sciences humaines, des musées et de l’histoire de l’art africain. La mission rapporte en effet un « butin » de 3500 objets qui complètera le fonds du Musée de l’Homme (mais aussi des animaux, quelques 6000 photographies, des films, des enregistrements sonores et 15 000 fiches d’observation de terrain). Si près de la moitié des objets collectés sont des objets rituels et sacrés de plus ou moins grande importance (« Mère des masques » dogon, peintures de l’église Abba-Antonios de Gondar, masques et statuettes), la majeure partie de la collecte est ensuite constituée d’objets du quotidien – tissages et poteries, outils de chasse ou de pêche, de cuisine ou d’agriculture, pièces de ferronnerie, petit mobilier, éléments d’architecture, instruments de musique et médecines, jouets et poupées, échantillons de toutes sortes, spécimens botaniques et zoologiques…

Cette mission témoigne d’une vision humaniste de l’éthnologie, loin de l’image du sauvage véhiculée largement dans ces années et dans le contexte de fierté coloniale.

Charles de Noailles se passionnera et financera largement ce projet, à l’origine du futur Musée de l’Homme.

Les membres de la Mission Dakar-Djibouti en , au Musée d’ethnographie du Trocadéro. 

l’héritage…

Toute leur vie, Charles et Marie-Laure de Noailles ont soutenu les artistes et intellectuels de leur temps dans les domaines de l’art, du cinéma, de la musique et de la littérature, sans préjugé politique et sans préjugé moral. Au delà de la générosité que leur permettait leurs grande fortune, ils furent en éveil face aux enjeux artistiques et intellectuels de leur temps, qu’ils n’ont eu de cesse de stimuler et de soutenir les artistes et entreprises intellectuelles, quitte à choquer ou à être critiqués. Leur mécénat rend aussi compte de leur grande ouverture d’esprit, résolument tourné vers la liberté d’expression. Ils soutiendront conjointement les deux frères ennemis du surréalistes,  Georges Bataille et André Breton. Ce dernier déclarait d’ailleurs « Depuis quand en France n’a ton plus le droit de se moquer de la religion ?” 

A LIRE

« Les Noailles, mécènes du 20ème siècle »
de Alexandre Mare et Stéphane Boudin Lestienne 

A ECOUter

Le podcast de France Culture

à découvrir

La Villa Noailles et le Centre d’Art à Hyères

Merci à ces principaux contributeurs pour la rédaction de cet article

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